Saravejo

Stanislav, Slobodan et Jasna se trouvent au milieu de la foule sur le pont latin de Sarajevo, un dimanche matin de 1914.

SLOBODAN

Scusez-moi, z’auriez pas l’heure ma petite dame ?

JASNA

Voyez avec mon mari, j’ai pas de montre.

STANISLAV

Il est dix et quart, jeune homme. Je vous prierai au passage d’être un peu plus courtois avec ma femme.

SLOBODAN

Oh, ça va, faut pas le prendre comme ça ! Dites, c’est une sacré terreur votre copain, là.

JASNA

C’est pas mon copain, c’est mon mari...

STANISLAV

Ne vous préoccupez pas de lui Jasna.

SLOBODAN

De toutes façons, j’cause pas aux autrichiens.

STANISLAV

À la bonne heure !

JASNA

On est pas autrichiens !

STANISLAV

Jasna...

SLOBODAN

Pour moi c’est pareil, russes, hongrois, autrichiens, je m’en balance.

JASNA

On vit ici, on est des serbes comme vous.

SLOBODAN

Et allez ! Qu’est-ce tu reste ici alors ? Tu flaires de l’archiduc ?

STANISLAV

Allez, Jasna, ça suffit.

JASNA

Bah et toi alors ? Qu’est-ce que tu fais là ?

SLOBODAN

Je vais travailler, ouais parfaitement. J’ai autre chose à faire qu’à me planter là comme une bitte d’amarrage à attendre qu’un crevard avec un plumeau sur la tête passe en voiture en me faisant coucou de la main.

STANISLAV

Jasna...

SLOBODAN

Quoi Jasna ? Quoi Jasna ? Tu vas pas la laisser respirer ta Jasna ?

STANISLAV

Je trouve vos manières détestables.

SLOBODAN

Lèche-marmite, on vous raclera de là un jour.

JASNA

C’était quoi ce bruit ?

STANISLAV

Comme une détonation sourde.

SLOBODAN

Ha ! Chouette ! On va s’amuser un peu. Venez, on se rapproche.

STANISLAV

On ne voit pas grand chose.

SLOBODAN

Allez, poussez-vous, poussez-vous.

JASNA

Y’a des morts ?

STANISLAV

Jasna !

SLOBODAN

Eh, y fait quoi ce type ?

STANISLAV

Il enjambe le parapet du pont. Dieux du ciel, il va sauter !

SLOBODAN

Il est débile, y’a presque pas d’eau en cette saison.

JASNA

La police !

STANISLAV

Ils descendent sur les berges.

SLOBODAN

Ils vont le choper. Tiens, pourquoi est-ce que le mec dégueule ? Il lui manque une fusible, c’est pas possible.

JASNA

L’archiduc ! Là, en voiture.

SLOBODAN

Ils sont passés à toute blinde, j’ai rien pu voir.

STANISLAV

Ce n’est pas comme si vous étiez là pour ça !

SLOBODAN

Oh, toi l’autrichien, tu te tais.

STANISLAV

Je...

JASNA

Attendez, la voiture fait marche arrière.

STANISLAV

Horreur ! Deux nouvelles détonations. Elles ne présagent rien de bon.

SLOBODAN

C’est bien rigolo, tout ça.

JASNA

Des coups de feu.

STANISLAV

Incroyable ! Au beau milieu de Sarajevo ! Alors que la paix règne en maître !

SLOBODAN

Alors là par contre, on va pas être tout à fait d’accord.

JASNA

C’est l’archiduc, on lui a tiré dessus !

SLOBODAN

C’est vrai ? Il est où le type qui a fait ça ? Faut que je l’embrasse !

STANISLAV

Vous aurez probablement l’occasion, lorsqu’on vous jettera en prison.

SLOBODAN

C’est Noël ! Noël ! Allez, venez, dansez !

JASNA

Ils sont morts ! C’est insensé.

SLOBODAN

Ils sont morts ? La copine du Franz aussi ? Oh, c’est dommage, elle était mignonne.